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PASSAGES
30 décembre 2006

Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie. Nick Flynn

Gallimard. p 277

flynnChaque soir, comme dans une pièce de théâtre depuis longtemps donnée, j'erre dans les rues désertes, m'arrête devant les corps gisant, jusqu'à le trouver, chaque couverture une nouvelle source de tension. A chacun son rôle, le roi fou et le fou du roi. L'un lance ses terribles mises en garde, un autre ourdit un complot contre nous, un autre encore essaie de nous venir en aide. Je suis condamné au rôle du fils. La plupart des nuits, nos chemins se croisent avant l'aube, mais il arrive que des mois s'écoulent sans le moindre contact entre nous. Le décor est une scène de rue, dans une ville américaine anonyme: des néons cassés, des panneaux publicitaires faisant l'article pour les produits du bonheur, l'étendue, le vide. Dans la faible lueur, on distingue des silhouettes enroulées dans des couvertures, sur des bancs, dans les renfoncements de portes, sous des buissons. Chaque nuit, je vais de l'une à l'autre, échange parfois quelques mots, laisse de la nourriture. Une couverture supplémentaire. Un manteau. N'importe laquelle peut être mon père. Bien que le public attende la rencontre - c'est pour ça qu'il a payé - il n'est pas sûr que je le trouve. Des semaines passent sans évènement marquant. Interné peut-être, mort, ou ayant quitté la ville - ce qui est toutefois peu vraisemblable. La tension se relâche, l'attention du public aussi, bercé par la répétition monotone, toujours les mêmes visages, quand en surgit un nouveau (Lili Taylor, ce soir, dans le rôle de Suzy), qui devient vite, lui aussi, encore le même visage. La nuit où ce sera bien mon père sous la couverture, que suis-je censé dire?

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